Portrait, où est votre ressemblance ?

par Jean-Philippe Haure
Seule une petite partie de ce qui est perçu est intelligible.
Traduit par Paisi

La question de la ressemblance dans un portrait est délicate. Issu d'une génération née après plus d'un siècle de dé-construction occidentale, sur tous les plans artistiques, culturels ou littéraires, il me devient difficile aujourd'hui de nommer les points qui font qu'un portrait, simple esquisse de quelques minutes ou œuvre plus élaborée, peut être dit ressemblant au modèle.

La recherche de la ressemblance par l'artiste lors d'une séance de modèle vivant peut se faire à des niveaux très différents, en fonction du style ou de la manière dont le travail est réalisé. Cependant, la ressemblance implique deux interprétations parallèles : d'une part, celle de l'artiste devant son modèle, qui compare son œuvre avec le modèle, et d'autre part, celle du spectateur devant l'œuvre de l'artiste, qui la compare également avec le modèle.

Mais laissons de côté la seconde interprétation pour tenter de comprendre la première, celle de l'artiste devant son œuvre.

Où est en effet cette ressemblance qu'il cherche à traduire ? Regardant tour à tour le modèle et l'évolution de son travail, ajoutant des lignes et des couleurs sur le support, forçant un contraste ici, effaçant une "erreur" là, bref, il travaille agilement sur une surface plane.

Mais il n'y a pas de lien entre cette surface plane travaillée et le modèle vivant.

Rien n'est semblable : un visage contre des lignes de graphite, une lumière contre une touche de gouache, un rythme exprimé par quelques hachures dirigées, une couleur physique contre une surface de pigments manufacturés. Rien n'est comparable. Et pourtant tout est là. Le modèle est là, encadré par les bords du papier, et en plus, il se ressemble...

Un paradoxe apparaît : il est impossible de voir la ressemblance indépendamment des lignes et des couleurs qui l'expriment sur le papier, et en même temps, la ressemblance ne se résume pas à cette combinaison de lignes et de couleurs. Où se situe-t-elle donc ?

On pourrait dire que la ressemblance réside dans l'intention de l'artiste, dans ce qu'il a vu de l'ordre invisible et qu'il a su traduire : ce caractère, cette justesse, cette "vérité" indéfinissable. Ce qu'il a vu, c'est un espace entre son œuvre et son modèle. Et tout son travail consiste précisément à rendre visible ce qui ne l'est pas, à expliciter ce que l'on pressent sans pouvoir l'exprimer, et qui se cache derrière un visage, une vie, un modèle.

C'est pourquoi un portrait réalisé par un artiste peut être ressenti comme plus réel et plus vrai que le modèle lui-même. Par une sorte d'alchimie créative, le portrait révèle le sens caché derrière les apparences.

Au niveau du langage des formes, de nombreux portraits dits "non ressemblants" sont plus proches de la réalité ressentie que de l'impression qui se dégage du portrait, qui est "plus lui-même que le modèle". On peut dire de ce portrait : C'est lui ! Pourtant, sur le plan du dessin, pas une ligne, pas une couleur n'est physiquement conforme au modèle. Le "lui", transposé dans le langage des formes, devient "c'est lui".

Ici, le jeu des couleurs et des formes donne naissance à la vie. Souvent inconnue de l'artiste lui-même. Comment capter cette vie ? L'habileté technique de l'artiste, suffisamment exercée pour éviter toutes sortes de maladresses, d'échecs ou d'erreurs esthétiques, sera mise de côté, comme en sourdine, pour se positionner dans une sorte de présence au monde, en surplomb ou en retrait, qui devient capable de capter et de traduire cette impression, comme sans s'en emparer.

La présence de l'artiste au monde est une sorte d'absence à soi-même. Une sorte de présence distraite à soi-même qui permet d'être présent au monde...

C'est le contraire du regard scrutateur et possessif que captent les outils de l'analyse objective, plus adaptés au démontage qu'à la recherche de sens, qui nous donne à voir quelque chose comme les pièces d'un moteur étalées sur le sol de l'atelier du mécanicien.

Ce démontage, dont la nouveauté est souvent très séduisante d'un point de vue artistique, très ressemblante par ses parties démontées et démontrables, fait abstraction de tous les liens entre les parties, de toutes les articulations du visible qui nous donnent en transparence une vue d'un sens enfin saisissable par notre intelligence.

Ce démantèlement, dont est issue notre époque occidentale, fait disparaître les apparences, et par conséquent, l'accès à l'invisible que l'artiste perçoit de manière fugace. L'apparence est la condition d'être de l'invisible. L'intelligible n'est jamais qu'une infime partie du sensible.

"Pour moi, ces Actéons modernes se vantent trop vite d'avoir découvert les secrets de la Beauté : faut-il, parce que nous avons analysé l'arc-en-ciel et dépouillé la lune de son mystère le plus ancien et le plus chaste, que moi, le dernier Endymion, je perde tout espoir, parce que des yeux impertinents ont regardé ma maîtresse à travers un télescope ?"

Oscar Wilde, Le Jardin D'Eros. Traduction et Préface par Albert Savine.

Ce n'est qu'après coup, ou à travers le jugement d'un autre, que ce travail, souvent obscur lors de son exécution, se révélera être "plus lui-même que le modèle lui-même", ressemblant, quant à l'impression qui en émane, à l'entre-deux de la réalité, à l'espace entre la feuille et le modèle, capté et traduit comme par accident.

Je me souviens d'un professeur de dessin à l'École Boulle qui, lors d'une séance de modèle vivant, disait aux étudiants que nous étions alors de... "ne jamais jeter un travail" : "ne jamais jeter un travail".

Aujourd'hui, j'ai le sentiment que parmi tous ces dessins entassés dans un coin de l'atelier, se cache peut-être la possibilité de ce regard après coup qui pourrait révéler un entre-deux, capturé avec nonchalance et ignoré jusqu'à présent.

Il s'agit peut-être d'idées nobles pour quelques lignes et couleurs sur une feuille de papier. Mais lorsque cette ressemblance devient une recherche qui s'étend sur des années et qui ne sera probablement jamais achevée, elle mérite quelques lignes qui soient à la hauteur de ses attentes.

Ainsi,
Je dessine
Vous dessinez
Il dessine
Nous tirons
A dessein.

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erreur: © Jean-Philippe Haure